LE PRINTEMPS
de Sandro BOTTICELLI
(1)
" Ce que montre Le Printemps, c'est simplement le printemps de Florence. Et comme il est parfaitement beau, il est l'image de la jeunesse du monde. Mais regardez bien, Pierre. Regardez tous les tableaux que Botticelli a peints au long de sa vie : toutes les femmes qui sont venues sous son pinceau, Vénus sortant toute nue et si belle de sa coquille, la Vierge à la grenade, les Vertus, les jeunes filles de Jethro, toutes se ressemblent. On dirait des surs. Savez-vous pourquoi ? C'est parce qu'elles sont toutes une image rêvée de Simonetta. Il n'a jamais peint qu'elle, ou son souvenir. " Philippe Beaussant, Le Rendez-vous de Venise, Fayard, 2003, p. 38-39. |
Une réforme des études sur Botticelli a marqué le dernier quart de siècle. Oublié pendant quatre ou cinq cents ans, il a d'abord été redécouvert triomphalement à la fin du XIXe siècle et travesti en peintre " fin de siècle " à la mélancolie sophistiquée. Puis, de 1940 à 1970, s'est imposé le Botticelli d'Ernst Gombrich, d'Erwin Panofsky et d'André Chastel qui en ont fait le grand représentant de la peinture néo-platonicienne à la cour de Laurent de Médicis. Et depuis maintenant une vingtaine d'années, apparaît une nouvelle approche, héritée de l'histoire sociale de l'art d'Aby Warburg, qui replace les uvres de Botticelli dans les pratiques culturelles et politiques de Florence, comme les fêtes ou les tournois. Cette ligne a été poursuivie par Pierre Francastel, dans les années cinquante et, aujourd'hui, par Charles Dempsey, professeur à l'université John-Hopkins de Baltimore, dont l'ouvrage capital sur le Printemps qu'il faudrait traduire au plus vite montre à quel point Botticelli fut un artiste profondément enraciné dans l'actualité politique et sociale de son temps. " Le Sandro des pendus " rentre-t-il dans ce cadre ? En effet, après la fameuse conjuration que les guelfes Pazzi fomentèrent, en 1478, contre les Médicis, Sandro Botticelli peignit sur la façade du palais de la Seigneurie ceux qui avaient échappé à la justice, en les représentant pendus parles pieds. C'est cet usage social de la peinture, dont il ne reste quasiment plus de traces, qu'analyse l'essai remarquable de Gherardo Ortalli, La Peinture infamante du XIIIe au XVIe siècle. Mais avant tout, Botticelli affichait par là sa fidélité au clan des Médicis. Daniel Arasse, "La ligne et la surface", entretien, propos recueillis par François Legrand. Dans Botticelli, Beaux Arts collection, 2004, p. 4. |
" Entre la transcendance du Ciel et l'immanence de la chair, l'ambivalence règne partout : l'indifférenciation des sexes et des corps dans le Printemps, l'étrangeté des caractères souvent tristes, mais jamais désespérés, qui se lit sur les visages de Julien de Médicis et de la sulfureuse Simonetta Vespucci, les contradictions parfois criantes entre la nudité des nymphes et la pudeur de leur regard dans la Naissance de Vénus. Tant de paradoxes qui s'affrontent en silence et que Pater exprime dans une prose rare : "Sa peinture n'est ni celle de la divinité intemporelle des saints de Fra Angelico, ni celle de l'Enfer d'Orcagna mais celle des hommes et des femmes de condition mêlée et incertaine, toujours attirants, revêtus parfois par la passion d'un caractère de beauté et d'énergie, mais attristés sans cesse par l'ombre que projette sur eux les grandes choses auxquelles ils se refusent. " Christophe
Castandet, "La Renaissance de Botticelli". Dans Botticelli,
Beaux Arts collection, 2004, p. 24. [Walter Pater, Sandro Botticelli, 1870] |
" L'un des traits caractéristiques de l'adhésion de Sandro à la poétique humaniste est, en tout cas, son souci de valoriser les personnages de la fable antique en les évoquant comme des apparitions religieuses, porteuses des mêmes valeurs symboliques que les figures de l'art sacré. " André Chastel, introduction
à Tout l'uvre peint de Botticelli, documentation par Gabrielle
MANDEL, Flammarion, 1968. |
La
puissance d'une image sort toujours renforcée lorsqu'elle se risque aux
marges de la contradiction et du paradoxe. Gilbert
Durand, Mythes, thèmes et variations, Desclée de Brouwer,
2000, p. 19. |
Ce tableau d'Alessandro di Mariano di Vanni Filipepi, dit Sandro Botticelli (1444/45 - 1510), est exposé à la Galleria degli Uffizi - Galerie des Offices à Florence. Il a été exécuté a tempera grassa sur panneau de bois (2,03 m x 3,14 m) entre 1478 et 1482. Il a été restauré en 1972, débarrassé d'une couche épaisse de vernis appliquée tardivement : une rivière et des montagnes bleues ont été alors révélées. Un inventaire datant de 1499, qui ne fut découvert qu'en 1975, énumère les biens de Lorenzo di Pierfrancesco et de son frère Giovanni, cousins de Laurent le Magnifique, et précise qu'à cette date Le Printemps se trouvait à Florence, au Palazzo Medici-Riccardi situé à l'angle des via Larga (actuelle via Cavour) et via de Gori. Le Printemps, Minerve et le Centaure et un grand tondo de la Vierge à l'Enfant dans un cadre doré décoraient une antichambre attachée aux chambres de Lorenzo di Pierfrancesco. Le Printemps était fixé au-dessus d'un lettuccio en bois de pin d'une largeur de 3,35m, sorte de banc à haut dossier placé contre le mur. Emilie Séris écrit : " Le Printemps, la Naissance deVénus, Mars et Vénus et Pallas et le Centaure ont probablement tous été commandés par Laurent de Médicis pour orner la chambre nuptiale de son cousin Lorenzo di Pierfrancesco et de sa jeune épouse Sémiramide Appiani, nièce de Simonetta Vespucci. " ( p. XXV) En 1550, dans la biographie qu'il consacre à Botticelli dans Le Vite de' più eccellenti pittori, scultori e architettori - Les Vies (1), Giorgio Vasari écrit que le tableau se trouve dans la villa Médicis située sur les collines de Castello à Florence, domaine acquis par Lorenzo di Pierfrancesco en 1477, et que La Naissance de Vénus est accrochée sur le mur opposé. Il l'identifie à une célébration de l'arrivée du printemps : "Per la città in diverse case fece tondi di sua mano e femmine ignude assai, delle quali oggi ancora a Castello, luogo del Duca Cosimo fuor di Fiorenza, sono due quadri figurati, l'uno Venere che nasce, e quelle aure e venti che la fanno venire in terra con gli amori, e cosí un'altra Venere che le Grazie la fioriscono, dinotando la primavera ; le quali da lui con grazia si veggono espresse. " "Pour différentes demeures dans la ville, il a peint des tableaux avec des femmes nues, dont deux sont aujourd'hui encore au Castello, une villa du duc de Cosme, en dehors de Florence ; ils représentent, l'un la naissance de Vénus avec les brises et les vents qui apportent l'amour à la terre ; l'autre, Vénus encore, avec les Grâces et la floraison, l'ensemble, qu'il a exprimé avec beaucoup d'élégance et de grâce, signifiant le printemps." Le titre en était désormais trouvé ! Mais
est-ce vraiment le thème voulu par Botticelli et son commanditaire, quel
qu'il soit (Laurent Pierfrancesco pour son mariage avec Semiramide Appiani, Julien
Médicis pour la naissance de son fils Giulio qu'il a eu avec Fioretta Gorini
ou Laurent Médicis pour célébrer la mort de son frère
Julien) ? |
Hypothèse Mon hypothèse est que ce tableau, loin d'être un hymne au printemps, a été peint pour honorer la mémoire de Julien de Médicis, frère de Laurent de Médicis, assassiné le 26 avril 1478 dans la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence lors de la conjuration des Pazzi, complot fomenté par la famille Pazzi contre les Médicis et auquel Laurent a réchappé. Mais Botticelli s'est réservé beaucoup d'espace dans le tableau pour laisser libre cours à son imagination : s'il a bien peint Julien de Médicis, le peintre florentin a voulu aussi célébrer celle qu'il considérait peut-être, car on le dit " mysogine notoire, peut-être inverti " comme sa propre égérie, Simonetta Vespucci. |
1- premier niveau d'interprétation Les événements historiques et la commande : La
mort de Simonetta Vespucci
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Alza
gli occhi, Julio a quella flamma Lève
les yeux, Julien, vers cette flamme
Aby Warburg écrit : Dans notre contexte, il devient clair maintenant que les représentations de Vénus par Botticelli que propose la Naissance de Vénus et ce qu'il est convenu d'appeler le Printemps visent à reconquérir la liberté olympienne pour la déesse que le Moyen Age avait doublement enchaînée par la mythologie et par l'astrologie. C'est parmi des roses voltigeant autour d'elle qu'apparaît sur l'eau Vénus anadyomène, dans la coquille dont elle s'est délivrée ; sur l'autre représentation de Vénus, que j'ai appelée, il y a des années, le Royaume de Vénus, ses compagnes, les trois Grâces, demeurent dans sa suite. Sans changer mon commentaire, je voudrais en proposer, aujourd'hui, une nuance quelque peu différente, à travers laquelle le spectateur du Quattrocento, fort de sa culture astrologique, percevait immédiatement l'essence de la déesse de la beauté, souveraine de la nature à son réveil : Venere Pianeta, la déesse planétaire Vénus apparaissant en avril, mois qu'elle gouverne. Aby Warburg, « Art italien et astrologie internationale au palais de Schifanoia à Ferrare », Symboles de la Renaissance, t. II, Éditions Rue d’Ulm, 1982, p. 39-51.
Laurent
le Magnifique a écrit quatre sonnets pour évoquer cette douloureuse
disparition. Dans son commentaire introductif (argumento), il écrit
: "
li primi quattro sonetti furono da me composti per la morte
d'una donna, che non solo extorse questi sonetti da me, ma le lacrime universalmente
dagli occhi di tutti gli uomini e donne che di lei ebbono alcuna notizia. "
- "
j'ai composé les quatre premiers sonnets pour la mort d'une
femme qui non seulement m'a arraché ces sonnets, mais aussi, universellement,
les larmes des yeux de tous les hommes et de toutes les femmes sans nouvelles
d'elle. "
Ô
étoile des jours, qui avec tes rayons
Un
an plus tard, la mort violente de son frère Julien qu'il adore ravive la
douleur de Laurent de Médicis.
Andrea del Verrocchio et Orsino Benintendi fabriquent
trois ex-voto, trois figures de cire grandeur nature représentant Laurent
épargné par la mort, en ses vêtements typiques de négociant.
Une de ces statues, mise dans l'église de Chiarito, aurait été
habillée des habits que Laurent portait le matin de Pâques ; une
autre, dans l'église de l'Annunziata, portait un costume florentin et la
troisième fut transportée à Santa Maria degli Angeli d'Assise.
Andrea del Verrocchio, vers 1470, exécute sur le thème de la Résurrection une uvre en terre cuite peinte, (Museo del Bargello à Florence). Julien, tel un soldat romain traditionnellement représenté, est allongé mort au pied du tombeau ouvert. Au-dessus de lui, Laurent, tombé à genoux, bouche grande ouverte, crie sa douleur. En 1479, Léonard de Vinci fera un croquis du cadavre du conjuré Bernardo di Bandino Baroncelli, pendu avec sa femme le 29 décembre 1479. (Musée Bonnat, Bayonne) Son
Bernado Bandini, un nuovo Giuda,
La
présence d'une tourterelle sur une branche morte et d'une porte à
moitié ouverte, symboles habituels de la mort,laisse-t-elle penser qu'il
fut peint après la mort de Simonetta Vespucci ? La tradition voulait que
cet oiseau revienne pleurer pour toujours la mort de l'être aimé. Si Laurent de Médicis a été le commanditaire du Printemps, son ami poète Angelo Ambrogiani (ou Agnolo selon la version toscane de son époque) (1454-1494), dit Angelus Politianus (du nom latin Mons Politianus de sa ville d'origine, Montepulciano), Ange Politien, a dû en être l'instigateur. Botticelli a rencontré dans les deux livres déjà écrits des Stances les personnages mythologiques que son tableau révèle. Mais qui aurait pu l'empêcher de détourner intentionnellement certaines identités divines pour répondre à un vu non dévoilé de Laurent ou pour déverser les émotions et sentiments encore vivants que la mort de Simonetta lui avait laissés ? |
Il y a une grande similitude entre le personnage de Flore et la description de Simonetta Vespucci dans les stances du poème qu'Ange Politien a composé pour Julien à l'occasion du "Torneo di Giuliano", le tournoi de joutes organisé sur la Piazza Santa Croce par Laurent pour son jeune frère, le 29 janvier 1475. Botticelli avait peint un portrait de Simonetta, nommée "la Senza Paragoni", " la Sans Pareille ". Elle avait été proclamée "regina del torneo", "reine du tournoi". Les giostre, les joutes, étaient à Florence dotées d'un grand prestige. Le vainqueur remportait un rameau de laurier. Les deux plus célèbres du Quattrocento florentin ont été : la giostra de Laurent le Magnifique le 7 février 1469, organisée sur la place Santa Croce quelques mois avant son mariage avec Clarice Orsini et célébrée par le poète Luigi Pulci ; la florentine Lucrezia Donati est élue reine de la fête ; et celle de Julien de Médicis le 28 janvier 1475, date du 23ème anniversaire de Simonetta, organisée pour fêter une alliance entre Milan, Venise et Florence conclue le 2 novembre 1474, et célébrée les Stanze d'Ange Politien. Rédigé en langue vernaculaire et composé en huitains (125 + 46) entre 1475 et 1478, le poème Stanze per la Giostra di Giuliano de Médicis est resté inachevé après la mort de Julien. Politien avait annoncé sa double intention : célébrer le hauts faits d'armes de Julien et exalter ses amours, dans la tradition de l'épopée chevaleresque. Après les deux premiers livres où la nature, l'amour et la mythologie sont convoqués pour narrer la rencontre de Julien et de Simonetta lors d'une battue de chasse, créatures mythologiques au sein d'un monde enchanté, Politien se proposait de célébrer le tournoi, peut-être décrit comme un rite d'initiation marquant le passage à la maturité intellectuelle et à la sagesse, à l'apaisement et à l'harmonie. Les trois uvres de Sandro Botticelli : Le Printemps (vers 1482), Mars et Vénus (vers 1483) et La Naissance de Vénus (vers 1485), sont peut-être les pendants allégoriques aux Stances. |
Livre
II - 6 - Le tournoi de Julien che
tutt'or parmi pur veder pel campo, |
Car
il me semble encore le voir dans l'arène |
Texte
en italien, traduction d'Émilie Séris :
Livre II - 10 - Le second tournoi Ma
'l bel Iulio ch'a noi stato è ribello, |
Mais
le beau Julien, qui nous est resté rebelle, |
Selon
Vasari, Botticelli serait l'inventeur d'une technique originale pour décorer
les étendards : une sorte de patchwork de toiles de couleurs différentes
formant le motif voulu remplaçait la peinture sur tissu, beaucoup moins
résistante. La bannière de Julien de Médicis qui devait le précéder dans le cortège d'ouverture, commandée à Botticelli, a été perdue, mais une tapisserie et ses dessins préparatoires permettent d'illustrer les descriptions précises recueillies : une représentation de Pallas-Athéna / Minerve casquée à l'antique, debout sur un rameau d'olivier ardent et regardant le soleil face à Cupidon attaché à un tronc d'olivier, son arc à terre et ses flèches brisées. Elle portait une armure par-dessus sa robe virginale, tenait d'une main une lance de joute et de l'autre son bouclier ( le gorgoneion) à tête de Méduse. Sous le signe de la sagesse et de la chasteté et selon les codes de l'amour courtois, était-ce une représentation symbolique de Simonetta, l'idéale bien-aimée, et une évocation de l'amour impossible de Laurent pour cette jeune femme mariée ? Une devise en lettres gothique et en français, la langue de l'amour courtois, accompagnait l'image : La Sans Pareille. En souvenir de sa victoire, Julien fit monter l'étendard sur un panneau qui fut placé dans un encadrement doré et accroché dans une salle du palais Médicis. |
Pallas - vers 1485 - collection privée Tapisserie
d'après un carton de Botticelli commandée par Guy de Baudreuil (probablement
directement au cours d'un de ses nombreux voyages effectués pour Charles
VIII en tant que prélat spécialiste en droit canon) pour servir
de portiera dans les appartements privés de l'abbé à
l'abbaye de Saint-Martin-aux-Bois dans l'Oise, dont il devint abbé en juillet
1491. Ses armes : d'argent, à trois curs couronnés de gueules)
et celles de l'abbaye : d'hermine à la fasce d'azur chargée de
trois fleurs de lys d'or, apparaissent. Pallas-Athéna apparaît typique de l'art de Botticelli : vêture et chevelure voletantes, allure dansante. Ses attributs : la branche d'olivier à la main gauche, ses armes inutilisées, soit une déesse " platonicienne " de la paix, des arts et de la pure intelligence . A droite, son bouclier orné de la tête de Méduse. Les
inscriptions sont : Le casque posé sur la main droite de Minerve et la présence d'un rameau d'olivier ont incité l'historien de l'art Rudolf Wittkower (1938) à supposer que Botticelli s'était inspirée d'une médaille de plomb dessinée par Francesco Laurana pour René d'Anjou vers 1463. (BnF - L'avers de la médaille représente René d'Anjou et Jeanne de Laval). |
Texte en italien, traduction d'Émilie Séris :
Livre II - 32 - Le tournoi Così
dicea Cupido , e già la Gloria | Cf. tapisserie / et Pallas et le Centaure Ainsi
disait Cupidon, et déjà la Gloire |
Livre
II - 41 - Athéna |
Ô sacro-sainte déesse, fille de Jupiter, grâce à qui le temple de Janus s'ouvre et se referme, dont la puissante main conserve et exerce le plein arbitre de la paix et de la guerre ; vierge sacrée, qui fais d'étonnantes démonstrations de ton grand pouvoir dans le ciel et sur la terre, qui enflammes pour la vertu les curs valeureux, aide-moi maintenant, Tritonnienne, et donne-moi vertu. |
Livre II - 42 - Athéna S'io
vidi drento alle tue armi chiusa | Si
j'ai vu à l'intérieur de tes armes enclose l'apparence de celle qui me vole à moi-même ; si j'ai vu la face terrible de Méduse la rendre contre Amour trop dure ; si ensuite mon esprit par l'effroi troublé sous ta protection s'est raffermi ; si Amour avec toi à de grandes uvres m'appelle, montre-moi le port, ô déesse, de la renommée éternelle. |
1- v. 1474 - collection du Städel de dell'Instuto de Frankfurt/Main 2- v. 1476-1480 (portrait posthume) - Gemäldegalerie, Staatliche Museen - Berlin
|
Simonetta Cattaneo appartenait à une famille qui régnait sur l'île d'Elbe et la région de Piombino et était mariée depuis 1468 au notable florentin Marco Vespucci.Elle n'a certainement été qu'une égérie pour Julien, Laurent, Botticelli et tous les artistes de Florence. Elle fut la Dame de Julien lors du tournoi de 1475. Très malade, elle se savait condamnée et mourut en 1476. A une époque où les symboles avaient une grande signification, elle a sans doute voulu montrer que l'amour qu'elle pourrait accorder à un autre que son époux ne pourrait qu'être platonique. Avant
de se savoir aimée par Julien, Simonetta n'est que sourire : I,
44 : " son regard brille d'une douceur sereine. " Mais l'amour est à sens
unique : I,
51 : " Je ne suis pas celle qu'augure en vain ton esprit, Dans le Livre II, Politien fait intervenir la nymphe Pasithée et son époux, le Sommeil, qui envoie durant la nuit qui précède le tournoi, des petits dieux, les Songes. Ils lui font entrevoir sa victoire dans l'arène mais aussi la mort de sa Dame, Simonetta.
La dernière strophe laisse possibles des retrouvailles :
Ce
dessin quadrillé (associé au fragment de tapisserie commandée
par Guy de Baudreuil) est-il une première esquisse ? le dessin destiné
à être agrandi pour devenir le carton de la tapisserie ? un dessin
obtenu par le procédé semblable à celui d'Alberti, décrit
par Léonard de Vinci (BNF, ms. A. f. 104r) de 1490-1492 : placer une grille
entre le modèle et le peintre pour aider au dessin.
Complexe
d'Ophélie L'aventure
est hasardeuse tant l'élément " eau " est marginal et
peu abondant. Mais la présence de l'eau liée à celle beaucoup
plus représentée de la chevelure ondulante et des vêtements
légers et flottants est à prendre en compte. Bien sûr, ni
Simonetta, ni Julien ne sont suicidés en se noyant, alors qu'Ophélie
peut " être pour nous le symbole du suicide féminin " note
Gaston Bachelard (p. 110) La
rencontre de l'eau et de la lune est inévitable : " Comme tous les
grands complexes poétisants, le complexe d'Ophélie peut monter jusqu'au
niveau cosmique. Il symbolise alors une union de la lune et des flots. "
(p. 119) La présence de Proserpine est-elle alors la bienvenue ? Le symbolisme de l'eau est double : " l'eau mêle ses symboles ambivalents de naissance et de mort. Elle est une substance pleine de réminiscences et de rêveries divinatrices. " (p. 122) Peinte au fond du paysage derrière Mercure, est-elle espérance de re-naissance, de résurrection ? Gilbert Durand, " Shakespeare et le mythe du printemps sacrifié ", Mythes, thèmes et variations, Desclée de Brouwer, 2000, p. 73-90. " Comme l'a bien vu Bachelard, le beau nom d'Ophélie couvre tout au plus un " complexe " : le complexe d'images qui relient, sans cohérence dramatique, la féminité/l'eau/la mort/les larmes, un mythe indéterminé, comme celui du printemps sacrifié " (p. 75) "
Donc la gracieuse et touchante scène d'Ophélie abandonnée
dans les eaux, qu'ont chantée tant de poètes, qu'ont illustrée
bien des peintres, repose sur un fondement mythique : celui du printemps sacrifié
par un implacable enchaînement. L'accent ne porte plus sur l'image de la
Primavera, mais sur le récit qui expose les raisons ou les déraisons
! du sacrifice. - - - - - - - - - - http://fr.wikipedia.org/wiki/Portrait_de_Simonetta_Vespucci Simonetta Cattaneo, en épousant Marco Vespucci, est devenue parente avec Amerigo Vespucci qui était entré au service de la banque de Laurent de Médicis. À la fin de l'année 1491, ce dernier l'envoie à Séville pour établir le bon fonctionnement d'une de ses entreprises, avant de mettre le cap sur l'Outre-Atlantique qui lui emprunta son prénom. |
2- second niveau d'interprétation Les textes anciens : De
la nature des choses de Lucrèce
Correspondance des dieux grec et romains
Le Printemps est une peinture qui comporte un caractère d'ekphrasis : une interprétation figurative d'un passage littéraire. Peintre maniériste avant l'heure, génial et de grand talent, Sandro Botticelli a toujours été à la recherche de l'inaccessible beauté. Témoins toutes les Vénus qu'il a peintes d'après les statues grecques et leurs copies romaines, parmi lesquelles la Vénus dite " de Médicis " tient une place d'importance. La Vénus de Médicis, sculpture grecque en marbre représentant la déesse Aphrodite-Vénus, est une copie du 1er siècle av. n.è. d'une statue originale en bronze due peut-être à un élève de Praxitèle.
Plus intéressé par la plastique féminine, sculptée du corps des femmes que par leur existence propre, il semble avoir toujours fui les réalités de son temps, qui devaient lui sembler ternes ou mesquines au profit de rêves mégalomanes plus poétiques. Si Simonetta Vespucci est représentée dans Le Printemps, elle l'est sous l'apparence d'une égérie, son égérie. A l'instar de Laure de Noves pour Pétrarque à Avignon et Béatrice Portinari pour Dante. Femmes - Muses, à la fois inspiratrices, anges gardien et surtout promotrices de leurs uvres. Peut-être loin de toute idée charnelle ou de désir inassouvi. Tout en répondant aux exigences de la commande (l'exaltation de Julien de Médicis et de Simonetta Vespucci), Botticelli a évoqué La Divine Comédie de Dante dans un tableau que l'apport des personnages métamorphosables de la mythologie extraits des textes de Virgile et d'Ovide a rendu ésotérique selon son souhait. 1482 est aussi l'année où il commence une série d'esquisses et de dessins sur parchemins pour illustrer La Divine Comédie, à la demande de Lorenzo de Pierfrancesco de Médicis. Il y consacra dix ans de sa vie par un travail intense et exclusif. Le voyage initiatique entrepris sur les pas de Dante considéré comme un Maître se retrouve dans Le Printemps. Dans ces dessins peuvent se reconnaître des scènes, des personnages, des attitudes du Printemps. Sont-ils antérieurs, contemporains ou postérieurs au tableau ? Feuilletons cette Divine Comédie botticellienne et observons par exemple les illustrations suivantes : -
le Purgatoire - 08 - La fin de la repentance et la vallée de la floraison
: les Anges et le Serpent : le personnage à gauche (Mercure), le serpent
. -
le Paradis - 01 - La montée au Paradis : les arbres et le personnage
au centre porteur d'une épée (caducée ?). La
Divine Comédie illustrée par Botticelli : http://yrol.free.fr/LITTERA/DANTE/botticellipurga.htm Des 100 planches sur parchemin qui étaient prévues, 92 ont été conservées : 85 se trouvent au Kupferstichkabinett de Berlin ; 7 sont conservées à la bibliothèque Vaticane de Rome. |
Les différents éléments et personnages 2.1- Le tableau
Le tableau donne l'impression que l'on a fortement étêté le haut des arbres. Peut-être a-il été scié pour être amputé d'une vingtaine de centimètres. Il est privé de son ciel, à en paraître étouffant. Mais, peut-être, avec ses raisons, Botticelli l'a-t-il voulu ainsi. Même
Cupidon, petit Dieu adipeux aux ailes rognées, flottant tel un ballon captif
au-dessus du personnage central, ne contribue guère à alléger
l'ensemble. Sans doute est-ce là une uvre d'atelier car cette peinture semble être un bien travail trop important pour un seul peintre. Mais, seul Botticelli connaissait exactement le sens profond de l'uvre. Secret bien gardé, même encore de nos jours ! Botticelli exprime une douleur
retenue, muette, empreinte d'une incommensurable tristesse. Poignante, à
bien observer chaque personnage qui participe au drame évoqué, loin
de toute gaieté d'une éclosion printanière. La douleur est
à découvrir dans l'opposition entre les gestes arrêtés
et le calme des personnages qui ont perdu deux des leurs en pleine jeunesse, et
la violence exprimée par les personnages porteurs de mort, l'ange - archer
et Zéphyr. |
2.2- Proserpine, gardienne des Enfers
Comme les peuples de l'Orient et de l'Egypte antiques avant eux, les Grecs ont conçu des mythes de régénération de la nature. Le plus connu concerne les déesses Déméter et Perséphone, la mère et la fille qu'un amour indestructible unit pour toujours. Le bois, si volontairement touffu et obscur, n'est pas un bois ordinaire : c'est un bois sacré. Mais ce n'est pas le bois de Vénus que quasiment tous les chercheurs ont voulu reconnaître dans le personnage central qui se tient pourtant à l'arrière-plan du tableau, plus loin que les autres personnages, sur le plan incliné que constitue le pré fleuri. Cette figure se détache sur la surface foncée d'un bosquet, auréole végétale, ainsi que Ginevra de' Benci dans le tableau de Léonard de Vinci. vers 1474 - National Gallery - Washington ------------------------
Il
s'agit non de Vénus, mais de Proserpine.
(Désormais, les divinités porteront leurs noms latins). Cette
femme n'est point Aphrodite-Vénus, celle que la poétesse grecque
Sappho chante ainsi : Amour, ministre charmant d'Aphrodite... et encore
: Charmante Aphrodite, je vous ai envoyé des ornements de couleur de
pourpre ; ils sont très précieux : c'est votre Sappho qui vous
offre ces agréables présents... Mais je ne suivrai pas Jacobsen lorsqu'il écrit p.336 : "La jeune femme absorbée dans son rêve, qui est le personnage principal de la peinture, est par conséquent Simonetta, avec sur son visage l'amour et la souffrance de ses dernières années, avec les vêtements qu'elle portait dans la vie, la belle Simonetta Cattaneo." L'ensemble de la critique a reconnu Vénus, leurrée avec beaucoup de complaisance par la présence de son fils Cupidon dont le père était le dieu Mars. Non, ce personnage central n'est pas Vénus, c'est Proserpine. Elle est dite fille de Jupiter et de la nymphe Styx, fleuve des Enfers qui donne l'invulnérabilité, et aussi fille du même Jupiter et de sa sur Cérès. Les Grecs la nommèrent d'abord Coré ou Cora, " la jeune fille ", puis Perséphone. Enlevée par Pluton, son oncle et dieu des Enfers, qu'elle épouse ensuite, elle passe l'hiver aux Enfers et le reste de l'année avec sa mère. Elle est donc associée au renouveau printanier de la végétation. Le mythe de Perséphone, déesse des céréales comme sa mère, unit la fertilité du sol et la mort : les semences demeurent dans les ténèbres de la terre tout l'hiver pour se développer à l'air libre le reste de l'année. Dans les rites des mystères d'Éleusis, le retour sur terre de la déesse est pour les participants une promesse de leur propre résurrection. C'est Mercure (Hermès grec) que Zeus envoie aux Enfers pour la ramener à sa mère. Mais ayant rompu le jeûne obligatire aux Enfers pour avoir mangé un grain de grenade offert malicieusement par Pluton, elle doit demeurer une partie de l'année sous terre. Le
poète latin Claudien (Claudius Claudianus,
v. 365-408 ?) lui consacre son Enlèvement de Proserpine. Au
livre I, vers 1-4 : "
Les transports de mon âme me forcent de dévoiler par mes chants audacieux
le larcin du roi des enfers, ses coursiers et son char effrayant les astres de
leur rapide passage, et la couche ténébreuse de la
Junon souterraine. " (Traduction de M. Geruzez) Au
livre II, vers 367-372 : " Ô
notre mère ! Ô Junon des enfers ! [quel mot latin correspond
à enfers ?] Et toi le gendre et le frère de Jupiter ! Goûtez
en paix un sommeil qui resserre votre union ; que vos bras enlacés rapprochent
tendrement vos têtes. Déjà s'élève une race
fortunée, déjà la nature joyeuse attend ces dieux qui vont
recevoir la vie. Donnez de nouvelles divinités au monde ; donnez à
Cérès les rejetons que demandent ses vux ! " (traduction
Héguin de Guerle et Alphonse Trognon) Texte
latin :
Virgile dans L'Énéide, livre VI, explique la légende du rameau d'or : " Sur un arbre et dans son épais feuillage, est caché un rameau consacré à la Junon des Enfers ; sa tige légère et ses feuilles sont d'or, toute la forêt le dérobe aux yeux des mortels, et une vallée ténébreuse l'enferme dans ses ombres. Mais il n'est donné de pénétrer dans l'empire des morts qu'à celui qui a pu détacher de l'arbre le rameau d'or. C'est le présent que la belle Proserpine exige. Le rameau détaché, est soudain remplacé par un autre. " Proserpine-Perséphone, une des principales divinités chthoniennes, est surnommée " Junon des Enfers ou Junon Infernale ou Junon souterraine " parce qu'elle est dans les Enfers l'équivalente de Junon sur l'Olympe : la reine, épouse du dieu souverain, Pluton-Hadès ou Jupiter-Zeus. Ainsi cette femme centrale ne ressemble en rien aux Vénus de Botticelli, la déesse païenne de l'amour. Proserpine se tient debout devant ce qui a été reconnu comme un myrte. Le myrte n'est pas le symbole exclusif de Vénus. Il est attesté à Jupiter, à la Muse Érato et il était porté dans le temple de Déméter et Perséphone lors des mystères d'Éleusis par les prêtresses et les mystes. Aux Enfers, Perséphone tient une grande torche éclairant les lieux. Le nimbe autour de sa tête pourrait représenter la lueur de cette torche.
------------------------ Le geste de Proserpine Certains historiens d'art ont cru avoir découvert le modèle dont Botticelli semble s'être inspiré : la Vierge de l'Annonciation de Alesso Baldovinetti (1427-1499) : femmes au même drapé, positions identiques des bras. 1-
Sandro Botticelli De la main droite, Vénus effectue un geste de bienvenue qui, spatialement, s'adresse aux trois jeunes femmes, mais qui, plastiquement, s'adresse aussi au spectateur qui est ainsi invité à pénétrer dans son rayaume. Le geste de Proserpine est à rapprocher avec peut-être plus de bonheur de celui que Botticelli prête à l'une des déesses dans sa fresque de 1486, Le Jeune Homme et les Arts (Lorenzo reçu par les Arts Libéraux), anciennement Villa Tornabuoni Lemmi di Careggi, près de Florence, et actuellement au musée du Louvre.
D'autres personnages de Botticelli ont le même geste, la même position cassée de la main.
L'Histoire
de Nastagio degli Onesti est une série de peintures de Sandro Botticelli
exécutée en 1483 sur commande de Laurent le Magnifique afin de faire
un cadeau nuptial à Giannozzo Pucci et Lucrezia Bini.
Etude pour le retable de Saint Barnabé Le retable, daté de 1488, a tempera sur bois, est à la Galerie des Offices à Florence. Le même geste s'y retrouve plusieurs fois : pour écrire, pour saluer, pour désigner, dans le calme et la sérénité. Le geste esquissé par Proserpine quelque ressemblance avec celui que Botticelli a donné à Marie dans son Annonciation de 1489 quand l'ange Gabriel vient la visiter.
Cette main botticellienne dans Le Printemps, la paume tournée loin du corps, a-t-elle la signification que lui donne Emil Jacobsen : un geste de défense ? "La sua testa si volge colla
sua dolorosa espressione a sinistra profondamente assorta o come in ascolto di
lontani suoni ; nello stesso tempo elle fa colla destra
l'atto di difendersi. Perchè ? Da che cosa è ella agitata
questa giovane donna ? Quali pensieri l'assalgono ? Perchè
solleva essa la mano a difendersi ? Se noi possiamo indovinare il segreto
di questa donna mesta, avremo nello stesso tempo sciolto l'enigma del quadro."
"Sa tête se tourne vers la
gauche, avec une expression douloureuse, et en même temps, profondément
absorbée par l'écoute de sons lointains. Elle
a le geste de vouloir se défendre. Pourquoi ? Quel événement
bouleverse cette jeune femme ? Quelles pensées l'assaillent ? Car ne
lève-t-elle pas la main pour se défendre ? Si nous pouvons
deviner le secret de cette femme triste, nous aurons l'énigme du tableau."
(traduction personnelle) ------------------------ D'autres gestes identiques Est-ce à son maître Filippo Lippi (1406-1469) que Botticelli, entré dans son atelier en 1465, a emprunté ce goût de l'idéal de beauté féminine qu'accompagne ce geste du bras et de la main ?
Botticelli forma Filippino Lippi, le fils de Filippo
Lippi, qui reprit ce même geste.
La Chasse à la licorne - The Cloisters - New York
Leonardo da Vinci - Annonciation - 1472 - Galerie des Offices - Florence
Le
fou de la reine (l'aubergiste)
Temple
de Banteay Srei Ces quelques exemples relevés dans l'uvre de Botticelli lui-même ou chez d'autres artistes de son époque me font repousser l'interprétation de Jacobsen. Je veux lire dans ce geste, ainsi que dans le regard qu'elle pose sur nous et dans l'inclinaison de sa tête, davantage une invitation, une salutation, un accueil, une acceptation, un apaisement, que les traits du visage soulignent, qu'un refus ou une appréhension. C'est pour Botticelli un geste qui accompagne une contemplation et un détachement de tout le corps pour dissimuler, apaiser une angoisse, une fébrilité. C'est un geste qui esquisse la lutte intérieure contre toute émotion intense, toute tension perturbante. Il en est d'autres dans cette partie gauche du tableau où rôde et se complaît la mort, comme dans l'ensemble de l'uvre : les gestes des trois jeunes femmes, celui de Mercure, tout de lenteur et de douceur.
------------------------ Les mystères d'Isis
Les
Métamorphoses d'Apulée ont
pu être également un texte qui a inspiré Botticelli, et pour
le dessin et pour l'atmosphère qu'il voulait donner à son tableau.
Lisons un extrait du Livre XI narrant l'initiation de Lucius dans les mystères
d'Isis. Avant
de quitter le sanctuaire, Lucius adresse à la déesse cette prière
: ------------------------
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Le nemus et le pré fleuri
En
ce "jardin", ont été peints 500 spécimens de plantes
dont 190 à fleurs parmi lesquelles 33 ont été repérées
imaginaires. Dans l'herbier minutieusement peint, se trouve le pavot somniférum,
symbole de la Gardienne des Enfers. Le site en anglais et en italien suivant qui
identifie quelques fleurs du Printemps le signale : http://www.thais.it/speciali/Primavera/iconografia/totale.htm
Dans ses solennités rendues à Cérès (mère de Proserpine), les fleurs étaient interdites parce que c'était en cueillant des fleurs que Proserpine avait été enlevée par Pluton. Le pavot seul lui était consacré, non seulement parce qu'il croît au milieu des blés, mais aussi parce que Jupiter lui en fit manger pour lui procurer du sommeil et une trêve dans sa douleur. Le pavot est aussi associé à Proserpine : ses vertus soporifiques symbolisent le sommeil annuel si proche de la mort de la Nature. Le pré fleuri de ce tableau limité par des arbres pourrait évoquer le nemos grec, le nemus latin, le nemeton celte. Le mot vient du grec némos, pâturage, dérivé de némo, partager, mener paître. Il s'agissait d'une clairière dans une forêt où l'on menait paître les bêtes. L'une de ces éclaircies était un bois sacré lié aux divinités de la nature, l'un des plus anciens sanctuaires, antérieurs à la construction des temples élevés souvent au milieu de ces clairières. Les Romains nommaient ce bois sacré lucus dont la racine leuk se retrouve dans les mots lux, lucis, la lumière, luna, la lune, lustrare, purifier par un sacrifice, lustrum, lieu sauvage, escarpé, et luxuria, surabondance, exubérance dans la végétation. Selon Caton, dans De l'Agriculture, les Romains réalisaient un rituel, le lucum conlucare avant de délimiter une éclaircie dans un lucus. Le nemeton semble avoir été pour les Celtes "une projection idéale d'une portion de ciel sur la terre, une sorte de paradis, ou plutôt de verger merveilleux" selon la belle formule de Jean Markale (Merlin l'Enchanteur ou l'éternelle quête magique, Albin Michel, 2009). ------------------------ Le Vestibulum
Ce pré fleuri, ces orangers en fleurs et en fruits, sont la preuve d'une existence continue, qui ne saurait s'achever. Perpétuelle fécondation, éternel renouveau, résurrection assurée. La mort n'y a pas sa place de prime abord ; elle est à découvrir dans les détails, sur les bords, aux limites du tableau où l'il ne se dirige et ne s'attarde pas communément. Ce pré fleuri souligne davantage la permanence des corps qui ne disparaissent pas et la perpétuation de la vie qui ne se délite pas qu'il n'exprime le renouveau printanier après des mois de feuilles pourries, de branches mortes, de sols gelés, nus et enneigés. Ce pré fleuri, ces fleurs semées et ces orangers sont l'affirmation hautement clamée que Simonetta et Julien vivent encore et qu'ils reviendront. |
2.3- Les trois Grâces ?
Que feraient ici les trois Grâces si leur mère Vénus n'y est pas ? Botticelli interprète leur représentation classique très librement en évoquant une sorte de danse, peut-être élégante et gracieuse, légère et sensuelle, mais assez triste toutefois. Le tableau de Botticelli est à mes yeux l'envers du printemps ; Prima vera rime avec Melancolia. ------------------------ Les Charites Les
Charites grecques ont été assimilées aux Grâces par
les Romains. Leur parenté et leur origine
divergent selon les traditions et les textes anciens : Hésiode, dans sa
Théogonie, les dit filles de Zeus et d'Eurynomé, la plus
belle des Océanides : "La fille de l'Océan, Eurynome, douée
d'une beauté ravissante, conçut de Jupiter trois Grâces aux
belles joues, Aglaia, Euphrosyne et l'aimable Thalie. L'amour, qui amollit les
âmes, semble émaner de leurs paupières, et leurs yeux ont
des regards pleins de charmes." Euphrosyne, Thalia et Aglaé sont généralement représentées comme un groupe de trois jeunes femmes nues se tenant par les épaules, l'une regardant dans une direction opposée à celle des deux autres. Contrairement à la figuration habituelle, Botticelli a entrelacé les bras. ------- Dans ce que Hubert Damisch, à la suite de Sénèque, nomme " la circulation des bienfaits " (Voyage à Laversine, Seuil, 2004, p. 19-20), le " bienfait " devient ici " mal fait " c'est-à-dire la mort que, selon moi, les trois regards féminins désignent suffisamment. Je considère que toutes les trois sont des jeunes femmes déjà mortes et que la description de Sénèque ne les concerne en rien.
http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/sen_bienfaitsI/lecture/3.htm Tres Gratiae, et quare sorores sint, et quare manibus implexis, quare ridentes, iuuenes, et uirgines, solutaque ac pellucida ueste. Alii quidem uideri uolunt unam esse, quae det beneficium: alteram, quae accipiat : tertiam, quae reddat. Alii tria beneficiorum genera, promerentium, reddentium, simul et accipientium reddentiumque. Sed utrumlibet ex istis iudicauerim, quid ista nos iuuat scientia ? Quid ille consertis manibus in se redeuntium chorus ? Ob hoc, quia ordo beneficii per manus transeuntis nihilominus ad dantem reuertitur, et totius speciem perdit, si usquam interruptus est : pulcherrimus, si cohaesit, et uices seruat. Ideo ridentes : est aliqua tamen maioris dignatio, sicut promerentium. Vultus hilares sunt, quales solent esse qui dant, uel accipiunt beneficia. Iuuenes : quia non debet beneficiorum memoria senescere. Virgines : quia incorrupta sunt, et sincera, et omnibus sancta, in quibus nihil esse alligati debet, nec adscripti ; solutis itaque tunicis utuntur : pellucidis autem, quia beneficia conspici uolunt. Les
Grâces : pourquoi sont-elles au nombre de trois ? Pourquoi sont-elles surs
? Pourquoi les figure-t-on les mains entrelacées, l'air riant, jeunes,
vierges, sans ceinture, et vêtues de robes transparentes ? Selon les uns,
elles représentent la bienfaisance dans ses trois acteurs, celui qui donne,
celui qui reçoit, celui qui rend : selon d'autres, sous ses trois faces
: le bienfait, la dette, et la reconnaissance. ------- Dans une des trois fresques peintes en 1490 à la Villa Tornabuoni Lemmi di Careggi, Botticelli a peint la mère et ses trois filles. Vénus
et les Trois Grâces offrant des présents à une jeune fille
Dans
les mythologies, les triades féminines se multiplient, se fractionnent,
se regroupent, car le principe de leur fonction est d'expliquer l'inexplicable,
l'obligatoire et l'impossible, la naissance et la mort, le mystère absolu
de l'origine première et de la fin ultime. Le
quatrième terme de ces triades de divinités féminines est
évidemment l'être humain, dont le fil des jours, le fil de la vie,
appartient aux déesses du Destin. ------------------------ Le
chiffre 3 La première raison est que, comme Dante, Botticelli a eu besoin d'employer le chiffre trois, pour sa composition. Ainsi que le chiffre neuf. Chiffres essentiels pour Dante qui les retrouvait aussi bien dans la mythologie que dans la religion chrétienne. Dans La Divine Comédie, le poète latin Stace est bien utile à Dante pour évoquer le chiffre 3 ; même s'il ne fait que de la figuration silencieuse, il complète le trio humain : il apparaît au Purgatoire pour guider Dante et Virgile et quand Virgile disparaît à la fin du Purgatoire, Stace demeure avec le narrateur et entre au Paradis. (Purgatoire, Chants 21 et 33) Interprétons ces trois femmes si gracieuses dont Botticelli a eu besoin pour signifier le chiffre trois comme les égéries des poètes. Et avançons une pure hypothèse : celle de gauche pourrait être Béatrice Portinari (morte en 1290, à 26 ans), l'égérie de Dante, celle de droite Laure de Sade (morte en 1348 à 38 ans), dite Laure de Noves, l'égérie de Pétrarque.
La jeune femme au centre de la triade pourrait être Simonetta Vespucci que Botticelli devait considérer comme son égérie. Son visage ne ressemble-t-il pas au portrait "Cléopâtre" du Musée Condé de Chantilly, attribué peut-être à tort à Piero Di Cosimo en place d'Antonio del Pollaiolo ? La vérification des dates de naissance des deux artistes : Antonio Pollaiolo (1432-1498) et Piero Di Cosimo (1462-1522) permet de s'apercevoir que le premier avait 44 ans et que le second était encore un adolescent de 14 ans à la mort de Simonetta Vespucci en 1476. Il paraît dès lors facile de décider que ce portrait est "probablement" posthume et qu'il s'agit d'une uvre "de jeunesse" de Piero di Cosimo. ------------------------ Les fleurs
Recensons les fleurs sous les pieds de celle que je nomme Simonetta : 1- les marguerites (pratolina en italien). Particulièrement aimée par les abeilles et les papillons, la marguerite est le symbole de l'amour pur et innocent. Dans le langage des fleurs, elle signifie " je pense à vous ; vous êtes la plus belle ; je vous aime ". La marguerite des prés, blanche ou rose, symbolise la simplicité du cur, l'innocence, la pureté, mais aussi l'adieu. 2- la bourrache (borragine en italien). Elle signifie la constance du cur et le bonheur dans l'amour : " vous êtes aimée depuis longtemps. " La bourrache est censée lutter contre la mélancolie et insuffler la force. Son nom vient du mot celtique "borrach" = courage. 3- la nigelle (nigella en italien) Son nom vient de l'adjectif latin "nigellus", de "niger" = noir, pour la couleur de ses graines. La "nigelle de Damas" est aussi appelée "cheveux de Vénus", à cause de l'extrême finesse aérienne du feuillage, ou encore "cheveux d'amour" pour signifier des liens d'amour.
sous les pieds de celle qui pourrait être Béatrice Portinari : La violette (viola en italien). Elle signifie la modestie, la simplicité et la pudeur.
sous les pieds de celle qui pourrait être Laure de Sade : 1- la nigelle 2- le myosotis (non ti scordar di me en italien, "ne m'oubliez pas"). Dans le langage des fleurs, le myosotis signifie l'amour sincère mais aussi l'inquiétude de ne plus être aimé. 3- la capillaire (capelvenere en italien). Dans le langage des fleurs, cette plante indique la discrétion et le secret, un sentiment d'amour qui ne s'arrête pas devant l'adversité. 4- le crocus (croco en italien).Sa fleur passait pour avoir des propriétés aphrodisiaques. Il était considéré comme la fleur de la joie, de l'allégresse juvénile et du mariage d'amour. 5- l'euphorbe (euforbia en italien). Elle symbolise l'amour, et plus précisément : "c'est vous qui avez éveillé mon cur". 6- la marguerite 7- la violette. La violette de Parme signifie : "laissez-moi vous aimer". Sur son exemplaire de Virgile, Pétrarque nota à la mort de Laure : " la malheureuse nouvelle me fut apportée à Parme par une lettre de mon ami Louis. Ce corps si beau et si chaste de Laure fut enseveli au couvent des frères mineurs, le jour même de sa mort à vêpres. " Botticelli le savait-il ? |
2.4- Le chiffre 9 Dante confère
le chiffre 9 : Dans son tableau, peut-être trop chargé à son goût mais respect du Maître oblige Botticelli a placé neuf personnages. |
Botticelli a peint Simonetta alors qu'elle s'apprête à descendre au Enfers. Elle en est au stade du renoncement. Elle ne porte aucun bijou, contrairement aux deux autres jeunes filles. Ses cheveux sont en partie dénoués. Sa fine chemise est dégrafée sur son épaule, ainsi exposée à la flèche que va tirer Cupidon. Cette flèche n'apporte pas l'amour, mais la mort.
Ainsi, Le Printemps serait en son entier à considérer comme une fresque sur les métamorphoses des divinités mythologiques parmi lesquelles se seraient invités deux personnages historiques bien réels : Simonetta Vespucci et Julien de Médicis.
Sépulture
de Simonetta Cattaneo Vespucci Sépulture
de Sandro Botticelli |
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